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Pas de pays sans paysans

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Pas de pays sans paysans. C’est une vérité profonde qui souligne l’importance des agriculteurs et agricultrices dans la société. Leur travail acharné et leur dévouement sont essentiels pour nourrir les populations du monde entier.
De même, sans cordonnier, tout le monde irait pieds nus ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Voyons ça, avec « Voyage avec une feuille de papier... »
Sans nuage, il n'y aurait pas de pluie ; sans pluie, les arbres ne pousseraient pas, et sans arbre, nous ne pourrions pas faire de papier. Le nuage est essentiel pour que le papier soit ici devant nous. Sans le nuage, pas de feuille de papier.
Ainsi, il est possible de dire que le nuage et la feuille de papier « inter-sont ». Le mot « inter-être » ne figure pas encore dans le dictionnaire, mais en combinant le préfixe « inter » et le verbe « être », nous obtenons un nouveau verbe, inter-être. Sans nuage, nous n'aurions pas de papier - nous pouvons donc dire que le nuage et la feuille de papier inter-sont.
En regardant encore plus en profondeur dans cette feuille de papier, nous y voyons aussi le soleil. Sans soleil, la forêt ne pourrait pousser. En fait, rien ne pourrait pousser, nous ne pourrions nous développer. Par conséquent, nous percevons aussi la présence du soleil dans cette feuille de papier. Le papier et le soleil inter-sont.
En continuant d'observer, nous découvrons également le bûcheron qui a coupé l'arbre et l'a amené à la fabrique de papier.
Et nous voyons aussi le blé : nous savons que cet homme n'aurait pu vivre sans son pain quotidien. C'est pourquoi le blé qui a servi à la confection du pain dont s'est nourri le bûcheron, est présent dans cette feuille de papier.
Et le père et la mère du bûcheron y sont également.
Si nous observons de cette manière, nous remarquons que, sans tous ces éléments, cette feuille de papier ne pourrait exister.  
En examinant encore plus profondément, nous y découvrons aussi notre présence.
Ce n'est pas difficile à voir : lorsque nous regardons cette feuille, celle-ci fait partie de notre perception. Votre esprit s'y trouve et le mien aussi.
Par conséquent, nous pouvons dire que tout est présent dans cette feuille de papier.
Il vous sera impossible de me montrer une seule chose qui n'y soit pas - le temps, l'espace, la terre, la pluie, les minéraux du sol, le soleil, le nuage, la rivière, la chaleur…
Tout coexiste avec cette feuille de papier.
Voilà pourquoi, je pense que le mot « inter-être » devrait être dans le dictionnaire. « Être, c'est inter-être ». Vous ne pouvez pas « être » simplement par vous-même. Vous devez forcément inter-être avec toutes les autres choses.
Cette feuille de papier est, parce que tout le reste est.
Supposez que nous essayions de retourner un seul de ces éléments à sa source. Supposez que nous renvoyions sa lumière au soleil. Pensez-vous que l'existence de cette feuille de papier soit alors possible : Non, sans la lumière du soleil, rien ne peut exister. Si nous retournions le bûcheron à sa mère, nous n'aurions pas non plus de papier.
Le fait est que cette feuille est uniquement constituée d'éléments « non-papier », et que, si nous retournions ces éléments « non-papier » à leurs sources respectives, il n'y aurait alors plus de papier du tout. Sans ces éléments « non-papier », tels que l'esprit, le bûcheron, la lumière du soleil, etc., il n'y a pas de papier.
Aussi fine que soit cette feuille, elle contient en elle-même tout l'univers. C’est : l’interdépendance de tous les phénomènes.
La colère des agriculteurs ne devrait pas cibler les écologistes, mais le gouvernement et sa politique agro-industrielle, écrit Hervé Kempf dans cet éditorial. « Qui chasse des paysans ? Les écologistes ou le gouvernement ? »
Amis paysans, ne vous trompez pas de cible ! Selon beaucoup d’entre vous, d’après les manifestations agricoles de ces derniers jours, la racine du problème se trouve dans les normes environnementales. Pourtant, ceux qui vous conduisent à la détresse ne sont pas les écologistes, mais le gouvernement allié aux multinationales avec la FNSEA. Je ne vous parle pas de nulle part : dans ma famille et ma belle-famille, je compte six paysans. Ils me racontent les difficultés de ce métier et ce sentiment qu’ils ont toutes et tous, malgré la passion qu’ils éprouvent, d’être en permanence en mode « survie », quelle que soit la longueur des semaines de travail. À Reporterre aussi, nous nous passionnons pour l’agriculture depuis toujours, et c’est un thème essentiel de notre média. Pourquoi ?
Parce que l’agriculture est une activité d’avenir, et que c’est notamment par elle que nous pouvons refaire une société écologique, respectueuse des humains comme de la nature que nous aimons comme vous l’aimez. Alors que les néolibéraux n’ont eu de cesse de réduire le nombre de paysans en France — de 1,6 million en 1982 à 400 000 en 2019 et encore 100 000 fermes disparues depuis 2010 —, nous soutenons de longue date l’idée qu’il peut y avoir 1 million de paysans en France, qui vivent bien de leur métier et dans la dignité.
« Qui laisse dans l’indifférence les installations paysannes ? »
Et c’est pourquoi je peux dire : amis paysans, ne vous trompez pas de cible ! Qui a fait passer l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, qui va créer une nouvelle concurrence à l’agriculture européenne ? Les écologistes ou le gouvernement et les partis de droite ? Qui favorise l’accaparement des terres par des sociétés financières, chassant des paysans et développe des pratiques agro-industrielles ? Qui laisse dans l’indifférence les installations paysannes ? Les écologistes ou le gouvernement ?
Qui promeut une agriculture « high-tech », sans paysans ? Les écologistes ou le gouvernement ? Qui favorise l’élevage industriel, multipliant les maladies, telle la grippe aviaire, ruinant les petits éleveurs ? Qui laisse bétonner les terres, chassant les paysans à coups d’entrepôts, d’autoroutes et d’un urbanisme incontrôlé ? Les écologistes ou le gouvernement ? Et qui s’allie depuis des années avec ce gouvernement proche de l’agro-industrie, sinon la FNSEA, présidée par un homme qui, après un cursus à l’European Business School de Paris, a fait carrière dans le négoce, avant de prendre la tête d’une exploitation de 700 hectares ? Croyez-vous, amis paysans, que cet homme défend vos intérêts, ou qu’il défend ceux de l’agro-industrie ?
Impasse productiviste
La réalité de la crise agricole découle en réalité de la poursuite inexorable du projet néolibéral de l’agriculture : un marché mondialisé, des firmes prenant le contrôle des principales productions, le mépris de l’environnement et des équilibres biologiques, le choix délibéré de réduire le nombre de paysans pour ne plus garder qu’une minorité d’agri-managers employant une main-d’œuvre prolétarisée (et souvent immigrée), tandis que subsisterait une frange d’agriculteurs fournissant des produits haut de gamme pour les riches.
Nous sommes en fait engagés dans une impasse productiviste, d’autant plus folle qu’elle néglige profondément le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, dont les effets retentissent de plus en plus fort. Toutes les alertes lancées depuis des années, et l’appel non moins ancien à développer une agriculture biologique respectueuse des territoires et créatrice d’emplois, l’ont été en vain.
Le complexe regroupant agro-industrie, FNSEA et gouvernements (depuis Jacques Chirac) veut continuer en accroissant l’industrialisation de l’agriculture, avec de nouveaux OGM (organismes génétiquement modifiés), des mégabassines pour grands exploitants tournés vers l’exportation, des productions végétales pour les avions — arrosées de pesticides et gérées par des ordinateurs —, des exploitations immenses aux champs dénudés favorisant les inondations et exigeant d’énormes tracteurs gros consommateurs de fioul. Rien qui relève le revenu moyen agricole, rien qui favorise l’installation de jeunes paysans, rien qui réponde aux enjeux écologiques, et tout pour une dépendance alimentaire et une nourriture bourrée de pesticides aussi toxiques pour les consommateurs que pour les agriculteurs qui les utilisent.
Il est temps de repenser l’agriculture à l’aune des défis d’aujourd’hui. Qu’on le veuille ou non, le climat et la biodiversité s’imposent à tous. Et plutôt que de chercher à y échapper, l’agriculture pourrait être l’outil qui permet de les modérer et de faire un monde nouveau. Amis paysans, soyez écologistes.
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